Nouvelles d'ici # 11 -
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Nouvelles d’ici # 11

Le lion amoureux Du temps que les bêtes parlaient, Les Lions, entre autres, voulaient Être admis dans notre alliance

Jean de La Fontaine, Fables, IV, 1 (1668), éd. Marc Fumaroli, Paris, La Pochothèque, 1985, p. 197.

EDITO

Ouvrir cette lettre par une fable donnant la parole à des animaux n’est pas tout à fait anodin. Il est de ces détours qui n’ont pas de lien apparent avec l’objet d’une étude, d’une recherche, ni même d’une série documentaire en cours d’écriture. Cette digression peut relever du non-sens, d’une perte de temps, ou encore d’une dispersion sur les sentiers sinueux de la compréhension. On rebrousse alors le chemin. On revient à l’objet initial avec force et pragmatisme.  Néanmoins, le temps passant, des ramifications s’esquissent, nourrissant une pensée non plus linéaire mais arborescente.
Ces fables se font l’écho de la récente lecture d’un livre. Nastssja Martin est anthropologue spécialiste des populations arctiques. Dans Croire aux fauves, elle nous conte le récit d’une rencontre, ou plutôt d’une collision avec un ours, quelque part dans les montagnes du Kamtchtka. Histoire d’une expérience liminaire qui a fait de l’auteure dans le monde des Even, une Miedka , « celle qui vit entre deux mondes ».

« Au commencement des temps, les humains et les animaux parlaient la même langue… »   Les animaux parlants des Fables de La Fontaine, les dessins animés de Tex Avery, les contes du soir ont toujours pour nous une tonalité de l’enfance. Leurs aventures ont nourri, construit nos imaginaires. Le temps de l’enfance est celui d’un temps révolu, d’un temps d’avant, celui d’un imaginaire fécond où les limites entre le soi et le non soi demeurent poreuses. Il nous paraissait alors probablement congru de communiquer, sans paroles, dans nos premiers jours, nos premiers mois, nos premières années, avec ces autres pas encore tout à fait distincts de nous. En premier lieu nos parents, mais plus encore entendre parler des animaux, écouter le chant d’un ruisseau, résonner avec le bruissement des feuilles d’un arbre. L’expérience du monde n’est alors pas encore façonnée par celle de ceux qui nous ont précédés. Les rites de passages ne manqueront pas de marquer nos transformations de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge adulte. Ces conquêtes de soi, tout comme nos premiers pas, nos premiers mots, agissent comme des exhausteurs d’individuation. Chacune de ces expériences initiatiques plus ou moins ritualisée, selon où l’on naît, nous fait advenir un peu plus à « nous-mêmes ». Singulier jeu des mots où le “nous” et le “mêmes” sont liés au “je”. Cet enchâssement du singulier et du pluriel nous rappelle que le « un » vers lequel on tend, demeure un éternel élément d’un « tout ». Cet équilibre demeure fragile. Surtout lorsque l’humain se différenciant du « non-humain », grisé par ses potentialités naissantes, décide d’en user pour exercer un pouvoir sur ce qu’il croit progressivement ne plus être lui, « le non-humain ». Les crises que nous traversons marquées par des logiques de prédation, de domination et d’asservissement, sont les symptômes de cette perte de conscience aiguë du monde, de nos sens.
Il y a dans ces fables la mise en scène de ce temps lointain, qui est aussi celui des mythes fondateurs, celui de nos cosmogonies. Nous disposions alors d’un langage commun. Puis le temps de la spéciation a étendu et affirmé nos différences. Elle nous a rendus riches de nos altérités. Mais les différences se précisant, certains de nos usages nous ont rendus progressivement sourds et muets aux autres, à notre environnement. Nos langages nous ont peu à peu éloignés de ce dialogue originel. Le verbe nous a fait verbeux, déliés de nos environnements. Philippe Descola, souligne que humains et non-humains sont dotés d’une intériorité commune. Elle nous lie.

Ce détour du côté des fables et du récit de Nastassja Martin était une façon de rentrer par une porte dérobée, pour évoquer la question de l’expérience liminaire, ce seuil singulier entre entre des univers dissociés, l’expérience d’un dialogue possible entre mondes différenciés, celle de l’expérience singulière de l’altérité dans une acception élargie… La sonder c’est aller aux seuils de ce qui nous différencie, flirter avec la ligne étroite entre ce qui est moi et n’est pas moi, à la frontière de l’animalité, de la minéralité, de l’humanité, de la végétalité.   L’issue de nos égarements est probablement dans la restauration de ces dialogues.
© Thomas Rothé – 03.2021

On est dans un moment assez crucial dans le monde dans lequel on vit aujourd’hui, où il faut se donner la possibilité de penser le hors-cadre, penser ce que nos concepts n’arrivent plus à saisir. Il faut reformuler nos concepts descriptifs et analytiques, ce que j’essaie de faire à partir de l’animisme, et faire dire au naturalisme et à l’animisme autres choses que ce qu’elles sont sensées dire.”  
A lire aussi…
Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, Paris, Plon, 1955, nouv. éd., Plon, 1984.
Nastassja Martin, Les âmes sauvages, la découverte éd., 2016
Philippe Descola, Par-delà nature et culture, folio Essai, 2005.


Les artisans du bon sens / Série Documentaire

Les épisodes pilotes # 1 et # 2 de la série documentaire sont montés. La série ouvre donc sur le  domaine des Agrioles pour se poursuivre du côté de Sète. On y suivra Dominique et Joël, une paire de collaborateur qui n’est pas sans rappeler un emblématique duo du cinéma burlesque des années 30. On retrouvera ensuite un petit air de Jour de fête à ceci près que le facteur de mue en boulanger. Il y a des résonances dans son rapport au pain, avec la petite faiseuse de Dorayaki, des Délices de Tokyo. “Faites de votre mieux” disait-elle en s’adressant aux haricots rouges… Le sens de la vie se niche dans une pâtisserie.   L’épisode # 3 est en cours de montage…, je vous en parlerai dans la prochaine lettre !
Chaque rencontre est singulière et appelle une écriture propre… J’essaie de demeurer dans des dispositions d’éveil à cette singularité au moment de tourner, et de monter. Trouver la justesse de réalisation, sans omettre qu’il s’agit ici aussi d’un jeu, où je me joue des sons, des images, des faits… 


Échappée PHOTO

Vanessa Winship, She dances on Jakson, MACK, 2018.


Un film

Rithy Panh, Les irradiés, 85′, 2020.   Au Japon, en Allemagne nazie, au Cambodge, dans les colonies ou dans les tranchées de la grande guerre, méditation poétique sur le mal, la mémoire, l’empreinte de l’humain, par l’auteur de l’image manquante.

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